Depuis l'arrivée de Viktor Orbán au pouvoir, en 2010, la Hongrie a pris un tournant nationaliste. Le gouvernement du Fidesz s'oppose régulièrement aux politiques libérales de l'Union européenne. Lors de la crise migratoire syrienne, en 2015, le monde a pris conscience des actions xénophobes du gouvernement. La Hongrie accueillait 2 % d'immigré·e·s au 1er janvier 2020. Quatre fois moins que la moyenne des pays de l'Union européenne. Pourtant, le pays, et notamment sa capitale Budapest, attire encore les candidats à l'immigration. Populest est allé à la rencontre de cinq immigré·e·s aux histoires singulières pour savoir comment ils et elles vivent leur intégration. Troisième témoignage de la série.
Meri, d'origine afghane, est née en Russie et a immigré en Hongrie quand elle était enfant. Étudiante dans un cursus d'Affaires internationales à l'université de Budapest, la jeune femme de 20 ans n'a plus « l'énergie de se battre contre le racisme ordinaire présent dans le pays ».
« Cette ville est incroyable, mais la mentalité des Hongrois ruine tout. » Meri a beau être encore très jeune, elle en impose déjà et s'exprime avec aisance. « Ils ne sont pas tolérants et à chaque problème, ils ont tendance à désigner un bouc émissaire. » Son intégration, ou plutôt sa constante mise à l'écart, aurait pu la rendre vulnérable mais sa lucidité fait sa force : « Petite, j'ai compris que je ne pourrai jamais leur ressembler. »
Elle est arrivée enfant à Budapest avec ses parents. Déjà à l'école, ses cheveux noir foncé, ses difficultés avec la langue et sa peau mate ne passaient pas inaperçus. « On me rappelait toujours que j'étais l'immigrée de service. Les professeurs exposaient devant tout le monde qu'ils étaient plus cléments dans ma notation. Ça a participé à attiser la haine des autres élèves. »
Malgré tout, Meri a toujours été bonne élève. Ce que certains de ses camarades au collège n'acceptaient pas. « Un jour, en anglais, j'ai eu une meilleure note qu'une fille de la classe. Elle s'est sentie obligée de justifier que c'était normal, car c'était proche de ma langue maternelle, l'arabe. » Ce à quoi, Meri avait répondu : « Alors pourquoi j'ai aussi des meilleures notes que toi en hongrois ? »
« Quand même chanceuse »
Toute sa vie, la jeune femme a eu l'impression de devoir justifier sa présence en Hongrie, qu'il s'agisse d'oser prendre part au débat en classe ou d'avoir accès à des boulots étudiants comme ses pairs. Pourtant, Meri a grandi à Budapest, parle couramment hongrois et s'habille comme n'importe quelle jeune Européenne : une chemise bleu clair trop grande pour elle, un jean slim noir et des bottines à la mode.
Néanmoins, son mode de vie diffère du quotidien des étudiants et étudiantes. « Par exemple, je ne sors pas trop, je n'en ai pas envie et c'est difficile d'allier les soirées des Hongrois et la religion », confie la jeune musulmane. Ce qui complique aussi son intégration. Alors, elle trouve d'autres occupations. Très investie pour les droits humains, notamment au sein de l'ONG She4she d'aide aux femmes immigrées, elle se sent « quand même chanceuse » au regard des histoires qu'elle entend.
Baisser les bras
Si Meri reste discrète sur sa famille, elle évoque ses quelques amies rencontrées à la fac. Surtout des femmes immigrées qui partagent son ressenti. « Avec une amie brésilienne, qui a aussi grandi à Budapest, nous nous sommes sérieusement demandé : est-ce que nous aimons vraiment vivre ici ? » La réponse est non. « Et pourtant, je suis de nature confiante, conquérante, je n'ai peur de rien... enfin du moins je n'avais peur de rien !» Aujourd'hui, Meri ne se sent plus en sécurité dans ce pays.
L'étudiante n'a « plus l'énergie, plus l'envie de se battre contre les préjugés », dont elle est victime. « Et le vote anti-migrants et anti-droit des femmes prouve que je n'ai pas ma place ici.» À presque 21 ans, elle imagine déjà abandonner sa vie, les rencontres et les souvenirs qu'elle s'est créés. Si elle n'a pas d'idées précises sur le métier qu'elle souhaite exercer, Meri envisage de partir pour les Pays-Bas ou l'Autriche. Mais ce n'est pas sans émotion qu'elle évoque cette perspective. Car malgré tout, « j'adore ce pays ».
*source : Chiffres clés sur l'Europe, édition 2021, Eurostat.
Sophie Eyegue
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